Diffraction et analyse

Diffraction et analyse

Dans les phénomènes humains, tout apparaît « en situation », de là la difficulté à rattacher le phénomène observé à l’instance qui le cause. Or il ne faut pas confondre le « lieu » où s’observent les symptômes avec l’instance concernée.

Cette confusion est cependant très courante en sciences humaines. Cela explique, par exemple, que l’objet de la linguistique, « le langage », soit en pratique une province de plusieurs champs disciplinaires (phonétique, sémantique, sociologie, physiologie, physique acoustique, voire « communication »  etc.).

Or il ne saurait y avoir plusieurs sciences du même objet : une science est spécifique, les propriétés de son objet doivent être irréductibles à toute autre analyse. En ce qui concerne la linguistique, prise au sens ordinaire, cet objet n’est pas scientifique.

La perspective change radicalement lorsqu’intervient la pathologie. L’observation proprement expérimentale permet, en premier lieu, de dissocier les troubles émanant d’une biologie des fonctions (physiologie), par exemple l’apraxie, de ceux émanant d’une biologie des facultés (psychologie), par exemple l’atechnie. En bref : ce n’est pas la même chose de savoir ce qu’est un pyjama sans être capable de s’en revêtir (apraxie) que de tenter de s’en revêtir en ayant perdu le mode d’emploi (atechnie).

L’observation expérimentale des pathologies des facultés permet, en second lieu, de rattacher les symptômes aux instances concernées. Il est patent, par exemple, qu’un aphasique, s’il éprouve des difficultés à parler, demeure capable de fabriquer, voire d’écrire (même si son graphe reflète son trouble), de communiquer, d’être capable de retenue et de pudeur, et ainsi de suite. Dans ce cas, le langage seul est affecté.

Cela ne se révèle toutefois pas au seul comput des « erreurs » du malade, mais à l’aide de tests spécifiques comme, dans le cas de l’aphasie, les « Grammaires Élémentaires Induites » qui visent, littéralement, à « piéger » le patient afin de retrouver ce qui a disparu, masqué par l’emploi hyperbolique de ce qui demeure. Imaginez une serrure à deux clefs : le malade ayant perdu une clef essaie de forcer la serrure avec celle qui lui reste.

Cette méthode d’observation et de vérification expérimentale a permis :

  1. De différencier les phénomènes de nature des phénomènes de culture. Par exemple, l’instrument, que partagent l’homme et l’animal, n’est pas l’outil que seul l’homme possède.
  2. De distinguer quatre plans spécifiques d’une même rationalité culturelle, chacun ayant sa médiation propre : la Glossologie avec le Signe, là Ergologie avec l’outil, la Sociologie, avec la Personne, l’axiologie ,avec la Norme. Même s’ils interfèrent sans cesse, ces plans sont irréductibles les uns aux autres.
  3. A l’intérieur de chaque plan, de distinguer deux « faces » (en interaction réciproque) de la structure spécifique concernée, l’une correspondant à l’analyse structurale d’un élément E1 (par exemple, le Signifiant pour le Signe), l’autre à l’analyse structurale d’un élément E2 (par exemple le Signifié pour le Signe), étant entendu que les deux analyses se conditionnent réciproquement. Chacune des quatre médiations est donc « bifaciale ».
  4. Dans l’analyse structurale de chaque « face », de reconnaître deux axes d’analyse, l’un, celui de la taxinomie (ou identité) fonctionnant par oppositions, l’autre, celui de la générativité (ou unité) fonctionnant par segmentation. Les pathologies révèlent d’attrition de l’une ou l’autre analyse, par exemple de l’unité chez l’aphasique de Broca, de l’identité chez l’aphasique de Wernicke.

La projection d’un axe sur l’autre explique la flexion (le paradigme, pour le Signe) et la complémentation (le syntagme, pour le Signe).

Le modèle de la médiation instaure une dialectique : l’instance, analyse structurale, est vide et elle contredit le phénomène de nature (par exemple, l’instrument « la branche ou la pierre qu’utilise le singe– est niée par l’outil, proprement humain). Mais l’instance, à peine née, se contredit elle-même dans une performance qui tend à rejoindre le pôle naturel dont nous sommes partis. L’outil, par exemple, est « nié », réinvesti qu’il est dans l’outillage.

Tel est, très schématiquement, le modèle heuristique de la médiation.